CHAPITRE XVI.
OÙ MONSIEUR LE GARDE DES SCEAUX SÉGUIER CHERCHA PLUS D’UNE FOIS LA CLOCHE POUR LA SONNER, COMME IL LE FAISAIT AUTREFOIS.
La malheureuse reine, qu’on menaçait sans cesse de divorce, d’exil et
de jugement même, pâlit sous son rouge et ne put s’empêcher de dire :
— Mais pourquoi cette visite, sire ? Que me dira M. le chancelier que Votre Majesté ne puisse me dire elle-même ?
Anne d’Autriche fit un pas en arrière, si pâle qu’on eût dit qu’elle
allait mourir, et, s’appuyant de la main gauche pour ne pas tomber, à
une table qui se trouvait derrière elle, elle tira de la droite un
papier de sa poitrine et le tendit au garde des sceaux.
Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande attention,
puis, lorsqu’il fut arrivé au bout, il la relut une seconde fois.
CHAPITRE XVII.
LE MÉNAGE BONACIEUX.
Elle devint excessivement pâle, appuya sur une console sa main d’une
admirable beauté, et qui semblait alors une main de cire, et regardant
le roi avec des yeux épouvantés, elle ne répondit pas une seule syllabe.
Anne d’Autriche courut à son écrin. — Tiens, dit-elle, voici une bague d’un grand prix, à ce qu’on
assure ; elle vient de mon frère le roi d’Espagne ; elle est à moi et
j’en peux disposer. Prends cette bague et fais-en de l’argent, et que
ton mari parte.
— Et savez-vous ce que c’est que l’État dont vous parlez ? dit Mme
Bonacieux en haussant les épaules. Contentez-vous d’être un bourgeois
sans finesse aucune, et tournez-vous du côté qui vous offre le plus
d’avantages.
— Eh ! eh ! dit Bonacieux en frappant sur un sac à la panse arrondie et qui rendit un son argentin ; que dites-vous de ceci, Mme la prêcheuse ?
— D’où vient cet argent ?
— Vous ne devinez pas ?
— Du cardinal ?
CHAPITRE XVIII.
L’AMANT ET LE MARI.
— Alors, reprit M
me Bonacieux en ouvrant une armoire et en
tirant de cette armoire le sac qu’une demi-heure auparavant caressait si
amoureusement son mari, prenez ce sac.
— Ah ! mon Dieu ! murmura M
me Bonacieux, nous n’allons plus rien entendre.
— Au contraire, dit d’Artagnan, nous n’entendrons que mieux.
D’Artagnan enleva les trois ou quatre carreaux qui faisaient de
sa chambre une autre oreille de Denys, étendit un tapis à terre, se mit à
genoux, et fit signe à Mme Bonacieux de se pencher, comme il le faisait, vers l’ouverture.
Un hurlement terrible interrompit alors les réflexions de d’Artagnan et de M
me Bonacieux. C’était son mari, qui s’était aperçu de la disparition de son sac et qui criait au voleur.
CHAPITRE XIX.
PLAN DE CAMPAGNE.
En ce moment, Porthos entra.
— Pardieu, dit-il, voici une chose étrange : depuis quand, dans
les mousquetaires, accorde-t-on aux gens des congés sans qu’ils les
demandent ?
— Eh bien ! dit d’Artagnan, je décide que nous adoptions le plan d’Athos et que nous partions dans une demi-heure.
— Adopté ! reprirent en chœur les trois mousquetaires.
Et chacun, allongeant la main vers le sac, prit soixante-quinze pistoles et fit ses préparatifs pour partir à l’heure convenue.
CHAPITRE XX.
VOYAGE.
Mais au moment où Mousqueton venait annoncer que les chevaux étaient
prêts et où l’on se levait de table, l’étranger proposa à Porthos la
santé du cardinal. Porthos répondit qu’il ne demandait pas mieux, si
l’étranger à son tour voulait
boire
à la santé du roi. L’étranger s’écria qu’il ne connaissait d’autre roi
que Son Éminence. Porthos l’appela ivrogne ; l’étranger tira son épée.
Alors chacun de ces hommes recula jusqu’au fossé et y prit un mousquet
caché ; il en résulta que nos sept voyageurs furent littéralement passés
par les armes. Aramis reçut une balle qui lui traversa l’épaule, et
Mousqueton une autre balle qui se logea dans les parties charnues qui
prolongent le bas des reins. Cependant Mousqueton seul tomba de cheval,
non pas qu’il fût grièvement blessé, mais, comme il ne pouvait voir sa
blessure, sans doute il crut être plus dangereusement blessé qu’il ne
l’était.
Et l’on galopa encore pendant deux heures, quoique les chevaux fussent
si fatigués, qu’il était à craindre qu’ils ne refusassent bientôt le
service.
L’hôtelier avait l’air du plus honnête homme de la terre, il reçut les
voyageurs son bougeoir d’une main et son bonnet de coton de l’autre : il
voulut loger les deux voyageurs chacun dans une charmante chambre ;
malheureusement chacune de ces chambres était à l’extrémité de l’hôtel.
Au même moment, quatre hommes armés jusqu’aux dents entrèrent par les portes latérales et se jetèrent sur Athos.
— Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons ;
au large, d’Artagnan ! pique, pique ! Et il lâcha deux coups de
pistolet.
— Et un pour moi ! Au dernier les bons ! s’écria d’Artagnan furieux
en le clouant par terre d’un quatrième coup d’épée dans le ventre.
Cette fois, le gentilhomme ferma les yeux et s’évanouit.
Et il sauta avec Planchet dans le canot ; cinq minutes après, ils étaient à bord.
— Juste Ciel ! qu’ai-je lu ! s’écria le duc. Patrice, reste ici, ou
plutôt rejoins le roi partout où il sera, et dis à Sa Majesté que je la
supplie bien humblement de m’excuser, mais qu’une affaire de la plus
haute importance me rappelle à Londres. Venez, monsieur, venez.
CHAPITRE XXI.
LA COMTESSE DE WINTER.
Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils furent aux
portes de Londres. D’Artagnan avait cru qu’en arrivant dans la ville le duc allait
ralentir
l’allure du sien, mais il n’en fut pas ainsi ; il continua sa route à
fond de train, s’inquiétant peu de renverser ceux qui étaient sur son
chemin. En effet, en traversant la cité, deux ou trois accidents de ce
genre arrivèrent ; mais Buckingham ne détourna pas même la tête pour
regarder ce qu’étaient devenus ceux qu’il avait culbutés. D’Artagnan le
suivait au milieu des cris qui ressemblaient fort à des malédictions.
Tout à coup il poussa un cri terrible.
— Qu’y a-t-il ? demanda d’Artagnan avec inquiétude, et que vous arrive-t-il, milord ?
— Il y a que tout est perdu, s’écria Buckingham en devenant pâle
comme un trépassé ; deux de ces ferrets manquent, il n’y en a plus que
dix.
Aussitôt il fit appeler d’Artagnan.
— Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous êtes
venu chercher, et soyez mon témoin que tout ce que la puissance humaine
pouvait faire, je l’ai fait.
À l’instant même l’hôte lui fit signe de le suivre, sortit avec lui
par une porte qui donnait dans la cour, le conduisit à l’écurie, où
l’attendait un cheval tout sellé, et lui demanda s’il avait besoin de
quelque autre chose.
— J’ai besoin de connaître la route que je dois suivre, dit d’Artagnan.
CHAPITRE XXII.
LE BALLET DE LA MERLAISON.
À trois heures arrivèrent deux compagnies des gardes, l’une française,
l’autre suisse. La compagnie des gardes françaises était composée moitié
des hommes de M. Duhallier, moitié des hommes de M. des Essarts.
— Et vous avez eu tort, madame ! si je vous ai fait ce cadeau, c’est
pour que vous vous en pariez. Je vous dis que vous avez eu tort.
Et la voix du roi était tremblante de colère ; chacun regardait
et écoutait avec étonnement, ne comprenant rien à ce qui se passait.
Le roi figurait en face de la reine, et chaque fois qu’il passait près
d’elle il dévorait du regard ces ferrets, dont il ne pouvait savoir le
compte. Une sueur froide couvrait le front du cardinal.
Enfin, tout à coup une main et un bras adorables de forme et de
blancheur passèrent à travers la tapisserie : d’Artagnan comprit que
c’était sa récompense, il se jeta à genoux, saisit cette main, y appuya
respectueusement ses lèvres, puis cette main se retira, laissant dans
les siennes un objet qu’il reconnut pour être une bague ; aussitôt la
porte se referma, et d’Artagnan se retrouva dans la plus complète
obscurité.
CHAPITRE XXIII.
LE RENDEZ-VOUS.
Un léger nuage passa sur le front de Bonacieux, mais si léger que d’Artagnan ne s’en aperçut pas.
— Eh bien, allez chez le premier orfèvre venu et vendez-lui ce
diamant pour ce qu’il vous en donnera ; si juif qu’il soit, vous en
trouverez toujours bien huit cents pistoles. Les pistoles n’ont pas de
nom, jeune homme, et cette bague en a un terrible, et qui peut trahir
celui qui la porte.
— Vendre cette bague ! une bague qui me vient de ma souveraine ! jamais ! dit d’Artagnan.
— Alors tournez-en le chaton en dedans, pauvre fou, car on sait
qu’un cadet de Gascogne ne trouve pas de pareils bijoux dans l’écrin de
sa mère.
— Monsieur ne renonce donc pas à sa promenade de ce soir ?
— Bien au contraire, Planchet ; plus j’en voudrai à M. Bonacieux,
et plus j’irai au rendez-vous que m’a donné cette lettre qui t’inquiète
tant.
CHAPITRE XXIV.
LE PAVILLON.
L’arbre était facile à escalader. D’ailleurs d’Artagnan avait vingt ans à
peine et par conséquent se souvenait de son métier de collégien. En un
instant il fut au milieu des branches, et par les vitres transparentes
ses yeux plongèrent dans l’intérieur du pavillon.
Les trois hommes avaient fait avancer la voiture sans aucun bruit ;
ils en tirèrent un petit homme, gros, court, grisonnant, mesquinement
vêtu de couleur sombre, lequel monta avec précaution à l’échelle,
regarda sournoisement dans l’intérieur de la chambre, redescendit à pas
de loup et murmura à voix basse :
— C’est elle !
— La femme criait et appelait au secours. Mais bientôt ses cris furent
étouffés ; les trois hommes se rapprochèrent de la fenêtre, emportant la
femme dans leurs bras ; deux descendirent par l’échelle et la
transportèrent dans la voiture, où le petit vieux entra après elle.
Celui qui était resté dans le pavillon referma la croisée, sortit un
instant après par la porte et s’assura que la femme était bien dans la
voiture ; ses deux compagnons l’attendaient déjà à cheval, il sauta à
son tour en selle ; le laquais reprit sa place près du cocher ; le
carosse s’éloigna au galop escorté par les trois cavaliers, et tout fut
fini.
CHAPITRE XXV.
LA MAÎTRESSE DE PORTHOS.
Bonacieux devint pâle comme la mort et grimaça un sourire.
— Ah ! ah ! dit Bonacieux, vous êtes un plaisant compagnon. Mais
où diable avez-vous été courir cette nuit, mon jeune maître ? il paraît
qu’il ne faisait pas bon dans les chemins de traverse.
D’Artagnan baissa les yeux vers ses bottes toutes couvertes de
boue ; mais dans ce mouvement ses regards se portèrent en même temps sur
les souliers et les bas du mercier ; on eût dit qu’on les avait trempés
dans le même bourbier ; les uns et les autres étaient maculés de taches
absolument pareilles.
Alors une idée subite traversa l’esprit de d’Artagnan. Ce petit homme
gros, court, grisonnant, cette espèce de laquais, vêtu d’un habit
sombre, traité sans considération par les gens d’épée qui composaient
l’escorte, c’était Bonacieux lui-même. Le mari avait présidé à
l’enlèvement de sa femme.

— Oh ! la chose n’a pas été longue, je vous en réponds. Ils se sont mis
en garde ; l’étranger a fait une feinte et s’est fendu, tout cela si
rapidement, que lorsque M. Porthos est arrivé à la parade, il avait déjà
trois pouces de fer dans la poitrine. Il est tombé en arrière.
L’étranger lui a mis aussitôt la pointe de son épée à la gorge, et M.
Porthos, se voyant à la merci de son adversaire, s’est avoué vaincu. Sur
quoi, l’étranger lui a demandé son nom, et apprenant qu’il s’appelait
M. Porthos, et non M. d’Artagnan, lui a offert son bras, l’a ramené à
l’hôtel, est monté à cheval et a disparu.
À la vue de son ami, Porthos jeta un grand cri de joie, et
Mousqueton, se levant respectueusement, lui céda la place et s’en alla
donner un coup d’œil aux deux casseroles, dont il paraissait avoir
l’inspection particulière.
— Ah ! pardieu ! c’est vous, dit Porthos à d’Artagnan, soyez le
bien-venu, et excusez-moi si je ne vais pas au-devant de vous. Mais,
ajouta-t-il en regardant d’Artagnan avec une certaine inquiétude, vous
savez ce qui m’est arrivé ?
Mon ami plaçait une bouteille à trente pas, et à chaque coup il lui
prenait le goulot dans un nœud coulant. Je me livrai à cet exercice, et
comme la nature m’a doué de quelques facultés, aujourd’hui je jette le
lasso
aussi bien qu’homme du monde. Eh bien ! comprenez-vous ? notre hôte a
une cave très bien garnie, mais dont la clef ne le quitte pas ;
seulement cette cave a un soupirail. Or, par ce soupirail, je jette le
lasso ;
et comme je sais maintenant où est le bon coin, j’y puise. Voici,
monsieur, comment le nouveau monde se trouve être en rapport avec les
bouteilles qui
sont
sur cette commode et sur ce secrétaire. Maintenant, goûtez de notre
vin, et, sans prévention, vous nous direz ce que vous en pensez.
CHAPITRE XXVI.
LA THÈSE D’ARAMIS.
— Admirable sujet ! s’écria le jésuite.
— Admirable et dogmatique ! répéta le curé qui, de la force de
d’Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le jésuite
pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme un écho.
Quant à d’Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à l’enthousiasme des deux hommes noirs.
Un soir que je me rendais, selon mon habitude, dans une maison que je
fréquentais avec plaisir – on est jeune que voulez-vous, on est faible,
– un officier qui me voyait d’un œil jaloux lire les vies des saints à
la maîtresse de la maison, entra tout à coup et sans être annoncé.
Justement, ce soir-là, j’avais traduit un épisode de Judith, et je
venais de communiquer mes vers à la dame, qui me faisait toutes sortes
de compliments, et, penchée sur mon épaule, les relisait avec moi. La
pose, qui était quelque peu abandonnée, je l’avoue, blessa cet
officier ; il ne dit rien, mais lorsque je sortis, il sortit derrière
moi, et me rejoignant :
— Monsieur l’abbé, dit-il, aimez-vous les coups de canne ?
Bazin, qui regardait son maître et qui ne comprenait rien à ce
changement, laissa mélancoliquement glisser l’omelette dans les
épinards, et les épinards sur le parquet.
— Voilà le moment de consacrer votre existence au Roi des rois, dit d’Artagnan, si vous tenez à lui faire une politesse, Non inutile desiderium in oblatione.
— Allez-vous-en au diable avec votre latin ! Mon cher d’Artagnan,
buvons, morbleu, buvons, et racontez-moi un peu ce qu’on fait là-bas ?
CHAPITRE XXVII.
LA FEMME D’ATHOS.
D’Artagnan, muet de colère et d’inquiétude, s’assit, menaçant comme un juge. Planchet s’adossa fièrement à son fauteuil.
— Voici l’histoire, monseigneur, reprit l’hôte tout tremblant,
car je vous reconnais à cette heure ; c’est vous qui êtes parti quand
j’eus ce malheureux démêlé avec ce gentilhomme dont vous parlez.
Les gentilshommes avaient mis l’épée à la main ; mais ils se
trouvaient pris entre deux feux ; ils hésitèrent un instant encore ;
cependant comme la première fois l’orgueil l’emporta, et un second coup
de pied fit craquer la porte dans toute sa hauteur.
— Range-toi, d’Artagnan, range-toi, cria Athos, range-toi, je vais tirer.
Au-delà des fortifications auxquelles Athos avait fait brèche pour
sortir et qui se composaient de fagots, de planches et de futailles
vides, entassés selon toutes les règles de l’art stratégique, on voyait
çà et là, nageant dans les mares d’huile et de vin, les ossements de
tous les jambons mangés, tandis qu’un amas de bouteilles cassées
jonchait tout l’angle gauche de la cave et qu’un tonneau, dont le
robinet était resté ouvert, perdait par cette ouverture les dernières
gouttes de son sang. L’image de la dévastation et de la mort, comme dit
le poète de l’Antiquité, régnait là comme sur un champ de bataille.
Alors les hurlements de l’hôte et de l’hôtesse percèrent la voûte de la
cave ; d’Artagnan lui-même en fut ému, Athos ne tourna pas même la tête.
D’Artagnan lui raconta comment il avait trouvé Porthos dans son lit avec
une foulure et Aramis à une table entre les deux théologiens. Comme il
achevait, l’hôte rentra avec les bouteilles demandées et un jambon, qui,
heureusement pour lui, était resté hors de la cave.
— Le comte était un grand seigneur, il avait sur ses terres droit de
justice basse et haute, il acheva de déchirer les habits de la comtesse,
il lui lia les mains derrière le dos et la pendit à un arbre.
CHAPITRE XXVIII.
RETOUR.
L’Anglais, triomphant, ne se donna même la peine de rouler les dés, il
les jeta sur la table sans regarder, tant il était sûr de la victoire.
D’Artagnan s’était détourné pour cacher sa mauvaise humeur.
Au même instant, un fourgon, qui depuis quelques instants pointait sur
la route d’Amiens, s’arrêta, et l’on vit sortir Grimaud et Planchet
leurs selles sur la tête. Le fourgon retournait à vide vers Paris, et
les deux laquais s’étaient engagés, moyennant leur transport, à
désaltérer le voiturier tout le long de la route.
— Savez-vous ce que nous mangeons ici ? dit Athos, au bout de dix minutes.
— Pardieu ! répondit d’Artagnan, moi je mange du veau piqué aux cardons et à la moelle.
— Et moi des filets d’agneau, dit Porthos.
— Et moi un blanc de volaille, dit Aramis.
— Vous vous trompez tous, messieurs, répondit Athos ; vous mangez du cheval.
CHAPITRE XXIX.
LA CHASSE À L’ÉQUIPEMENT.
Ce que voyant Porthos, il retroussa de nouveau sa moustache, allongea
une seconde fois sa royale, et se mit à faire des signaux à une belle
dame qui était près du chœur, et qui non seulement était une belle dame,
mais encore une grande dame sans doute, car elle avait derrière elle un
négrillon qui avait apporté le coussin sur lequel elle était
agenouillée, et une suivante qui tenait le sac armorié dans lequel on
renfermait le livre où elle disait sa messe.
Lorsque la dame au coussin rouge fut près de Porthos, Porthos tira sa
main toute ruisselante du bénitier ; la belle dévote toucha de sa main
effilée la grosse main de Porthos, fit en souriant le signe de la croix
et sortit de l’église.
— Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je vous
en prie. Vous m’avez méconnu ; toute sympathie est éteinte entre nous.
— Ingrat que vous êtes !
CHAPITRE XXX.
MILADY.
La femme de chambre s’approcha de Planchet, qu’elle prit pour Lubin, et lui tendant un petit billet :
— Pour votre maître, dit-elle.
— Pour mon maître ? reprit Planchet étonné.
— Oui, et très pressé. Prenez donc vite.
Là-dessus elle s’enfuit vers le carrosse, retourné à l’avance du
côté par lequel il était venu ; elle s’élança sur le marchepied, et le
carrosse repartit.
D’Artagnan pensa que c’était le moment d’intervenir ; il s’approcha de l’autre portière, et se découvrant respectueusement :
— Madame, dit-il, me permettez-vous de vous offrir mes services ? Il me
semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot, madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie.
— Eh bien ! mon digne gentilhomme, reprit d’Artagnan choisissez la plus longue et venez me la montrer ce soir.
— Où cela, s’il vous plaît ?
— Derrière le Luxembourg, c’est un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celle que je vous propose.
Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner contre le
mur en se reculant de temps en temps et en faisant des pliés comme un
danseur. Aramis, qui travaillait toujours à son poème, s’enferma dans le
cabinet d’Athos et pria qu’on ne le dérangeât plus qu’au moment de
dégaîner.
FIN DU PREMIER TOME