.

Montag, 1. November 2021

LES MISÉRABLES par Victor Hugo, Dessins par Gustave Brion, Troisième Partie

 MARIUS

LIVRE PREMIER—PARIS ÉTUDIÉ DANS SON ATOME

Presque personne sur la terre ne connaît ces lieux singuliers, la Glacière, la Cunette, le hideux
mur de Grenelle tigré de balles, le Mont-Parnasse, la Fosse-aux-Loups, les Aubiers sur
la berge de la Marne, Mont-Souris, ...



 Ils sont là, ou pour mieux dire, ils existent là, loin de tout regard, dans la douce clarté de mai ou de juin, agenouillés autour d'un trou dans la terre, chassant des billes avec le pouce, se disputant des liards, irresponsables, envolés, lâchés, heureux;...

Un soir d'été, Louis-Philippe, rentrant à pied, en vit un, tout petit, haut comme cela, qui suait et se haussait pour charbonner une poire gigantesque sur un des piliers de la grille de Neuilly; le roi, avec cette bonhomie qui lui venait de Henri IV, aida le gamin, acheva la poire, et donna un louis à l'enfant en lui disant: La poire est aussi là-dessus.



LE PETIT GAVROCHE: Cet enfant était bien affublé d'un pantalon d'homme, mais il ne le tenait pas de son père, et d'une camisole de femme, mais il ne la tenait pas de sa mère. Des gens quelconques l'avaient habillé de chiffons par charité. Pourtant il avait un père et une mère. Mais son père ne songeait pas à lui et sa mère ne l'aimait point. C'était un de ces enfants dignes de pitié entre tous qui ont père et mère et qui sont orphelins.

 

LIVRE DEUXIÈME-LE GRAND BOURGEOIS

Rue Boucherat, rue de Normandie et rue de Saintonge, il existe encore quelques anciens habitants qui ont gardé le souvenir d'un bonhomme appelé M. Gillenormand, et qui en parlent avec complaisance. Ce bonhomme était vieux quand ils étaient jeunes.


 
Un jour on apporta chez lui dans une bourriche,comme une cloyère d'huîtres, un gros garçon nouveau-né, criant le diable et dûment emmitouflé de langes, qu'une servante chassée six mois auparavant lui attribuait. M. Gillenormand avait alors ses parfaits quatre-vingt-quatre ans. Indignation et clameur

dans l'entourage. Et à qui cette effrontée drôlesse espérait-elle faire accroire cela?Quelle audace! quelle abominable calomnie1 M. Gillenormand, lui, n'eut aucune colère. Il regarda le maillot avec l'aimable sourire d'un bonhomme flatté de la calomnie, et dit à la cantonade: «-Eh bien, quoi? qu'est-ce? qu'y a-t-il? qu'est-ce qu'il y a? vous vous ébahissez bellement, et, en vérité, comme aucunes personnes ignorantes. ...

LIVRE TROISIÈME-LE GRAND-PÈRE ET LE PETIT-FILS

Un Acien Salon: Lorsque M. Gillenormand habitait la rue Servandoni, il hantait plusieurs salons trèsbons et très-nobles. Quoique bourgeois, M. Gillenormand était reçu. Comme il avait deux fois de l'esprit, d'abord l'esprit qu'il avait, ensuite l'esprit qu'on lui prêtait, on le recherchait même, et on le fêtait.


Le carré de terre qu'il appelait son jardin était célèbre dans la ville pour la beauté des fleurs qu'il y cultivait. Les fleurs étaient son occupation.
A force de travail, de persévérance, d'attention et de seaux d'eau, il avait réussi à créer après lé créateur, et il avait inventéde certaines tulipes et de certains dahlias qui semblaient avoir été oubliés par la nature.Il était ingénieux.

 

Le soir même del'arrivée de Marius à Vernon, le colonel avait eu un accès de délire; il s'était levé de son lit malgré la servante,en criant: —Mon fils n'arrive pas ! je vais au-devant de lui! — Puis il était sorti
de sa chambre et était tombé sur le carreau de l'antichambre. Il venait d'expirer.

...il s'était placé derrière un pilier et agenouillé, sans y faire attention, sur une chaise en velours d'Utrecht, au dossier de laquelle était écrit ce nom: MonsieurMabeuf, marguillier. La messe commençait à peine qu'un vieillard se présenta et dit à Marius:
—Monsieur, c'est ma place.

Il avait le coeur serré. Il était transporté, tremblant, haletant; tout à coup, sans savoir luimême
ce qui était en lui, et à quoi il obéissait, il se dressa, étendit ses deux bras hors de la fenêtre, regarda fixement l'ombre, le silence, l'infini ténébreux, l'immensité éternelle, et cria: Vive l'empereur !


...et lui faisait le salut d'ordonnance. Elle poussa un cri de bonheur. On est vieille, on est prude,
on est dévote, on est la tante, mais c'est toujours agréable de voir entrer dans sa chambre un lancier.
—Toi ici, Théodule! s'écria-t-elle.
—En passant, ma tante.
—Mais embrasse-moidonc.
—Voilà! dit Théodule.
Et il l'embrassa. La tante Gillenormandalla.


Et il s'avança sur la pointe de ses bottes vers l'angle où Marius avait tourné. Arrivélà, il resta stupéfait.
Marius, le front dans ses deux mains, était agenouillé dans l'herbe sur une fosse. Il y avait effeuillé son bouquet. A l'extrémité de la fosse, à un renflement qui marquait la tête, il y avait une croix dé bois noir avec ce nom en lettres blanches: COLONEL BARON PONTMERCY. On entendait Marius sangloter.
La fillette était une tombe.


 Et tout à coup se redressant, blême, tremblant, terrible, le front agrandi par l'effrayant rayonnement de la colère, il étendit le bras vers Marius et lui cria: — Va-t'en.
Marius quitta la maison.

LIVRE QUATRIÈME—LES AMIS DE L'ABC

Une certaine après-midi, qui avait, comme on va le voir, quelque coïncidence avec les
événements racontésplus haut, Laigle de Meaux était sensuellement adossé au chambranle de
la porte du café Musain. Il avait l'air d'une cariatide en vacances; il ne portait rien que sa rêverie. Il regardait la place Saint-Michel.

Dans Fangle opposé à Grantaire, Joly et Bahorel jouaient aux dominos et parlaient d'amour.
 
 

LIVRE CINQUIÈME—EXCELLENCE DU MALHEUR

...il se sentit moqué parce qu'ilétait mal vêtu, et ridicule parcequ'il était pauvre.
A l'âge où la jeunesse vous'gonfle le coeur d'une fierté impériale, il abaissa plus d'une fois ses
yeux sur 'ses bottes trouées, et il connut les hontes injustes et les rougeurs poignantes de
la misère. 
 
 

 

 

 M. Mabeuf avait pour opinion politique d'aimer passionnément les plantes, et surtout les livres.
Il possédait comme tout le monde sa terminaison en iste, sans laquelle personne n'aurait pu
vivre en ce temps-là, mais il n'était ni royaliste, ni bonapartiste, ni chartiste, ni orléaniste, ni anarchiste;  il était bouquiniste.


Le jour de son entrée dans ce nouveau logis, il fut très-gai et cloua lui-même les clous pour accrocher les gravures et les herbiers, il piocha son jardin le reste de la journée, et le soir, voyant que la mère Plutarque avait l'air morne et songeait,il lui frappa sur l'épaule et lui dit en souriant: — Nous avons l'indigo !



—Parbleu, cria le lieutenant, voilà qui est admirablement vrai!
M. Gillenormand interrompit un geste qu'il avait commencé, se retourna, regarda fixement
le lancier Théodule entre les deux yeux, et lui dit: —Vous êtes un imbécile.

 

LIVRE SIXIÈME
LA CONJONCTION DE DEUX ÉTOILES

La seconde fois que Marius arriva près d'elle, la jeune fille leva les paupières, ses yeux étaient d'un bleu céleste et profond, mais dans cet azur voilé il n'y avait encore que le regard d'un enfant. Elle regarda Marius avec indifférence, comme elle eût regardé le marmot qui courait sous les sycomores, ou le vase de marbre qui faisait de l'ombre sur le banc; et Marius de son côté continua sa promenade en pensant à autre chose.

 

En débouchant dans l'allée, il aperçut à l'autre bout « sur leur banc » M. Leblanc et la
jeune fille. Il boutonna son habit jusqu'en haut, le tendit sur son torse pour qu'il ne fit
pas de plis, examina avec une certaine complaisance les reflets lustrés de son pantalon et
marcha sur le banc.


C'était un invalide tout courbé, tout ridé et tout blanc, en uniforme Louis XV, ayant sur le torse la petite plaque ovale de drap rouge aux épées croisées, croix de Saint-Louis du soldat, et orné en outre d'une manched'habit sans bras dedans, d'un menton d'argent et d'une jambe de bois.


LIVRE SEPTIÈME—PATRON-MINETTE

Les sociétés humaines ont toutes ce qu'on appelle dans les théâtres un troisième dessous.
Le sol social est partout miné, tantôt pour le bien, tantôt pour le mal. Ces travaux se superposent.
D'ya les mines supérieures et les mines inférieures. Il y a un haut et un bas dans cet obscur sous-sol qui s'effondre parfois sous la civilisation, et que notre indifférence et notreinsouciance foulent aux pieds. L'Encyclopédie, au siècle dernier, était une mine presque à ciel ouvert. Les ténèbres, ces sombres couveuses du christianisme primitif, n'attendaient qu'une occasion pour faire explosion sous les Césars et pour inonder le genre humain de lumière.


Un quatuor de bandits, Claquesous, Gueulemer, Babet et Montparnasse, gouvernait de
1830 à 1835 le troisième dessous de Paris.

 

LIVRE HUITIÈME-LE MAUVAIS PAUVRE

Tout à coup il se sentit coudoyé dans la brume; il se retourna, et vit deux jeunes filles
en haillons, l'une longue et mince, l'autre un peu moins grande, qui passaient rapidement,
essoufflées, effarouchées, et comme ayant l'air de s'enfuir; elles venaient à sa rencontre, ne
l'avaient pas vu, et l'avaient heurté en passant. Marius distinguait dans le crépuscule leurs
figures livides, leurs têtes décoiffées, leurs cheveux épars, leurs affreux bonnets, l-eurs
jupes en guenilles et leurs pieds nus. Tout en courant, elles se parlaient. La plus grande disait
d'une voix très-basse: —Les cognes sont venus.


La jeune fille répondit avec sa voix de galérien ivre: —C'estune lettre pour vous, monsieur Marius.
Elle appelait Marius par son nom; il ne pouvait.douter que ce ne fût à lui qu'elle eût affaire; mais qu'était-ce que cette fille? 

 

Ce trou faisaitune espèce de judas. Il est permis de regarder l'infortune en traître pour la secourir. — Voyons un peu ce que c'est que ces gens-là, pensa Marius, et où ils en sont. Il escalada la commode, approcha sa prunelle de la crevasse et regarda.

Ici il s'arrêta, frappa du poing sur la table, et ajouta en grinçant des dents: —Oh! je mangerais le monde! Une grosse femme qui pouvait avoir quarante ans ou cent ans était accroupie près de  la
cheminée sur ses talons nus.

En ce moment on frappa un léger coup à la porte, l'homme s'y précipita et l'ouvrit en s'écriant
avec des salutations profondes et des sourires d'adoration:
—Entrez, monsieur! daignez entrer, mon respectable bienfaiteur, ainsi que votre charmante
demoiselle.
Un homme d'un âge mûr et une jeune fille parurent sur le seuil du galetas. Marius n'avait pas quitté sa place. Ce qu'il éprouva en ce moment échappe à la langue humaine. C'était Elle. Quiconque a aimé sait tous les sens rayonnants que contiennent les quatre lettres de ce  mot: Elle.

Ces deux hommes, causant immobiles sous la neige qui tombait par tourbillons,faisaient un groupe qu'un sergent de ville eût à coup sûr observé, mais que Marius remarqua à peine.


il se retourna et vit une main qui retenait la porte entr'ouverte. —Qu'est-ce que c'est? demanda-t-il, qui est là? C'était la fille Jondrette.

Il y avait là en effet deux hommes adossés à la muraille, assis dans la neige et se parlant
bas. Ces deux figures lui étaient inconnues, l'un était un homme barbu en blouse et l'autre un
homme chevelu en guenilles. Le barbu avait une calotte grecque, l'autre la tête nue et de la neige dans les cheveux.

Marius regagna à grands pas le n° 50-52. La porte était encore ouverte, quand il arriva.

Elle lissa ses cheveux avec la paume de sa main et fit des sourires au miroir tout en chantonnant
de sa voix cassée sépulcrale:
Nos amours ont duré toute une semaine,
Mais que du bonheur les instants sont courts!
S'adorer huit jours, c'était bien la peine!
Le temps des amours devrait durer toujours!
Devrait durer toujours! devrait durer toujours!
 

Tout à coup sa prunelle éteinte s'illumina d'un flamboiement hideux, ce petit homme se dressa et devint effrayant, il fit un pas vers M. Leblanc et lui cria d'une voix tonnante : Il ne s'agit pas de tout cela! me reconnaissez-vous?


La porte du galetas venait de s'ouvrir brusquement et laissait voir trois hommes en blouses
de toile bleue, masqués de masques de papier noir. Le premier était maigre et avait une
longue trique ferrée; le second, qui était une espèce de colosse, portait, par le milieu du manche et la cognée en bas, un merlin à assommer les boeufs. Le troisième., homme aux épaules trapues, moins maigre que le premier, moins massif que le second, tenait à plein poing une énorme clef volée à quelque porte de prison.


C'étaient les trois « fumistes » qui s'étaient élancés sur lui. En même temps, la Thénardier l'avait empoigné aux cheveux.


Il releva la manche de son bras gauche et ajouta: —Tenez. En même temps il tendit son bras et posa sur
la chair nue le ciseau ardent qu'il tenait dans sa main droite par le manche de bois. On entendit le frémissement de la chair brûlée l'odeur propre aux chambres de torture se répandit dans le taudis. 


—N'approchepas! va-t'en! cria-t-elle, ou je t'écroule ! —Quel grenadier ! fit Javert; la mère, tu as
de la barbe comme un homme, mais j'ai des griffes comme une femme. Et il continua de s'avancer.
La Thénardier, échevelée et terrible, écarta les jambes, se cambra en arrière et jeta éperdument
le pavé à la tête de Javert. Javertse courba, le pavé passa au-dessus de lui, heurta la muraille du fond dont il fit tomber un vaste plâtras et revint, en ricochant d'angle en angle à travers le bouge, heureusement presque vide, mourir sur les talons de Javert.


Keine Kommentare:

Kommentar veröffentlichen