Samstag, 21. Januar 2023

Alexandre Dumas: Les Trois Mousquetaires, Illustrations de Maurice Leloir, III

 

CHAPITRE XVI.

MONSIEUR LE GARDE DES SCEAUX SÉGUIER CHERCHA PLUS D’UNE FOIS LA CLOCHE POUR LA SONNER, COMME IL LE FAISAIT AUTREFOIS.

 


La malheureuse reine, qu’on menaçait sans cesse de divorce, d’exil et de jugement même, pâlit sous son rouge et ne put s’empêcher de dire :

— Mais pourquoi cette visite, sire ? Que me dira M. le chancelier que Votre Majesté ne puisse me dire elle-même ? 

Anne d’Autriche fit un pas en arrière, si pâle qu’on eût dit qu’elle allait mourir, et, s’appuyant de la main gauche pour ne pas tomber, à une table qui se trouvait derrière elle, elle tira de la droite un papier de sa poitrine et le tendit au garde des sceaux. 


 

Le cardinal prit la lettre et la lut avec la plus grande attention, puis, lorsqu’il fut arrivé au bout, il la relut une seconde fois. 

 

CHAPITRE XVII.
LE MÉNAGE BONACIEUX.


  Elle devint excessivement pâle, appuya sur une console sa main d’une admirable beauté, et qui semblait alors une main de cire, et regardant le roi avec des yeux épouvantés, elle ne répondit pas une seule syllabe. 

 


 

Anne d’Autriche courut à son écrin. — Tiens, dit-elle, voici une bague d’un grand prix, à ce qu’on assure ; elle vient de mon frère le roi d’Espagne ; elle est à moi et j’en peux disposer. Prends cette bague et fais-en de l’argent, et que ton mari parte. 

 


— Et savez-vous ce que c’est que l’État dont vous parlez ? dit Mme Bonacieux en haussant les épaules. Contentez-vous d’être un bourgeois sans finesse aucune, et tournez-vous du côté qui vous offre le plus d’avantages.

— Eh ! eh ! dit Bonacieux en frappant sur un sac à la panse arrondie et qui rendit un son argentin ; que dites-vous de ceci, Mme la prêcheuse ?

— D’où vient cet argent ?

— Vous ne devinez pas ?

— Du cardinal ?

 

CHAPITRE XVIII. 

L’AMANT ET LE MARI.

 


 — Alors, reprit Mme Bonacieux en ouvrant une armoire et en tirant de cette armoire le sac qu’une demi-heure auparavant caressait si amoureusement son mari, prenez ce sac. 

 

 — Ah ! mon Dieu ! murmura Mme Bonacieux, nous n’allons plus rien entendre.

— Au contraire, dit d’Artagnan, nous n’entendrons que mieux.

D’Artagnan enleva les trois ou quatre carreaux qui faisaient de sa chambre une autre oreille de Denys, étendit un tapis à terre, se mit à genoux, et fit signe à Mme Bonacieux de se pencher, comme il le faisait, vers l’ouverture. 

 

Un hurlement terrible interrompit alors les réflexions de d’Artagnan et de Mme Bonacieux. C’était son mari, qui s’était aperçu de la disparition de son sac et qui criait au voleur. 

 

CHAPITRE XIX.

PLAN DE CAMPAGNE.

 

En ce moment, Porthos entra.

— Pardieu, dit-il, voici une chose étrange : depuis quand, dans les mousquetaires, accorde-t-on aux gens des congés sans qu’ils les demandent ? 

 

 — Eh bien ! dit d’Artagnan, je décide que nous adoptions le plan d’Athos et que nous partions dans une demi-heure.

— Adopté ! reprirent en chœur les trois mousquetaires.

Et chacun, allongeant la main vers le sac, prit soixante-quinze pistoles et fit ses préparatifs pour partir à l’heure convenue. 

 

CHAPITRE XX.

VOYAGE.

   

Mais au moment où Mousqueton venait annoncer que les chevaux étaient prêts et où l’on se levait de table, l’étranger proposa à Porthos la santé du cardinal. Porthos répondit qu’il ne demandait pas mieux, si l’étranger à son tour voulait boire à la santé du roi. L’étranger s’écria qu’il ne connaissait d’autre roi que Son Éminence. Porthos l’appela ivrogne ; l’étranger tira son épée. 


Alors chacun de ces hommes recula jusqu’au fossé et y prit un mousquet caché ; il en résulta que nos sept voyageurs furent littéralement passés par les armes. Aramis reçut une balle qui lui traversa l’épaule, et Mousqueton une autre balle qui se logea dans les parties charnues qui prolongent le bas des reins. Cependant Mousqueton seul tomba de cheval, non pas qu’il fût grièvement blessé, mais, comme il ne pouvait voir sa blessure, sans doute il crut être plus dangereusement blessé qu’il ne l’était. 

 

Et l’on galopa encore pendant deux heures, quoique les chevaux fussent si fatigués, qu’il était à craindre qu’ils ne refusassent bientôt le service. 


 L’hôtelier avait l’air du plus honnête homme de la terre, il reçut les voyageurs son bougeoir d’une main et son bonnet de coton de l’autre : il voulut loger les deux voyageurs chacun dans une charmante chambre ; malheureusement chacune de ces chambres était à l’extrémité de l’hôtel. 

 Au même moment, quatre hommes armés jusqu’aux dents entrèrent par les portes latérales et se jetèrent sur Athos.

— Je suis pris, cria Athos de toutes les forces de ses poumons ; au large, d’Artagnan ! pique, pique ! Et il lâcha deux coups de pistolet. 

 


— Et un pour moi ! Au dernier les bons ! s’écria d’Artagnan furieux en le clouant par terre d’un quatrième coup d’épée dans le ventre.

Cette fois, le gentilhomme ferma les yeux et s’évanouit. 

 

Et il sauta avec Planchet dans le canot ; cinq minutes après, ils étaient à bord. 

 

— Juste Ciel ! qu’ai-je lu ! s’écria le duc. Patrice, reste ici, ou plutôt rejoins le roi partout où il sera, et dis à Sa Majesté que je la supplie bien humblement de m’excuser, mais qu’une affaire de la plus haute importance me rappelle à Londres. Venez, monsieur, venez. 

 

CHAPITRE XXI.

LA COMTESSE DE WINTER.

 

Les chevaux allaient comme le vent, et en quelques minutes ils furent aux portes de Londres. D’Artagnan avait cru qu’en arrivant dans la ville le duc allait ralentir l’allure du sien, mais il n’en fut pas ainsi ; il continua sa route à fond de train, s’inquiétant peu de renverser ceux qui étaient sur son chemin. En effet, en traversant la cité, deux ou trois accidents de ce genre arrivèrent ; mais Buckingham ne détourna pas même la tête pour regarder ce qu’étaient devenus ceux qu’il avait culbutés. D’Artagnan le suivait au milieu des cris qui ressemblaient fort à des malédictions. 

 

Tout à coup il poussa un cri terrible.

— Qu’y a-t-il ? demanda d’Artagnan avec inquiétude, et que vous arrive-t-il, milord ?

— Il y a que tout est perdu, s’écria Buckingham en devenant pâle comme un trépassé ; deux de ces ferrets manquent, il n’y en a plus que dix.


 


Aussitôt il fit appeler d’Artagnan.

— Tenez, lui dit-il, voici les ferrets de diamants que vous êtes venu chercher, et soyez mon témoin que tout ce que la puissance humaine pouvait faire, je l’ai fait. 

 


  À l’instant même l’hôte lui fit signe de le suivre, sortit avec lui par une porte qui donnait dans la cour, le conduisit à l’écurie, où l’attendait un cheval tout sellé, et lui demanda s’il avait besoin de quelque autre chose.

— J’ai besoin de connaître la route que je dois suivre, dit d’Artagnan. 
 

CHAPITRE XXII.

LE BALLET DE LA MERLAISON.

 

 

À trois heures arrivèrent deux compagnies des gardes, l’une française, l’autre suisse. La compagnie des gardes françaises était composée moitié des hommes de M. Duhallier, moitié des hommes de M. des Essarts. 

 

 — Et vous avez eu tort, madame ! si je vous ai fait ce cadeau, c’est pour que vous vous en pariez. Je vous dis que vous avez eu tort.

Et la voix du roi était tremblante de colère ; chacun regardait et écoutait avec étonnement, ne comprenant rien à ce qui se passait.



Le roi figurait en face de la reine, et chaque fois qu’il passait près d’elle il dévorait du regard ces ferrets, dont il ne pouvait savoir le compte. Une sueur froide couvrait le front du cardinal. 

 

Enfin, tout à coup une main et un bras adorables de forme et de blancheur passèrent à travers la tapisserie : d’Artagnan comprit que c’était sa récompense, il se jeta à genoux, saisit cette main, y appuya respectueusement ses lèvres, puis cette main se retira, laissant dans les siennes un objet qu’il reconnut pour être une bague ; aussitôt la porte se referma, et d’Artagnan se retrouva dans la plus complète obscurité. 

 

CHAPITRE XXIII.

LE RENDEZ-VOUS.

Un léger nuage passa sur le front de Bonacieux, mais si léger que d’Artagnan ne s’en aperçut pas. 

 


— Eh bien, allez chez le premier orfèvre venu et vendez-lui ce diamant pour ce qu’il vous en donnera ; si juif qu’il soit, vous en trouverez toujours bien huit cents pistoles. Les pistoles n’ont pas de nom, jeune homme, et cette bague en a un terrible, et qui peut trahir celui qui la porte.

— Vendre cette bague ! une bague qui me vient de ma souveraine ! jamais ! dit d’Artagnan.

— Alors tournez-en le chaton en dedans, pauvre fou, car on sait qu’un cadet de Gascogne ne trouve pas de pareils bijoux dans l’écrin de sa mère. 

 


 

— Monsieur ne renonce donc pas à sa promenade de ce soir ?

— Bien au contraire, Planchet ; plus j’en voudrai à M. Bonacieux, et plus j’irai au rendez-vous que m’a donné cette lettre qui t’inquiète tant.

 

CHAPITRE XXIV.

LE PAVILLON.

 

L’arbre était facile à escalader. D’ailleurs d’Artagnan avait vingt ans à peine et par conséquent se souvenait de son métier de collégien. En un instant il fut au milieu des branches, et par les vitres transparentes ses yeux plongèrent dans l’intérieur du pavillon. 

 


Les trois hommes avaient fait avancer la voiture sans aucun bruit ; ils en tirèrent un petit homme, gros, court, grisonnant, mesquinement vêtu de couleur sombre, lequel monta avec précaution à l’échelle, regarda sournoisement dans l’intérieur de la chambre, redescendit à pas de loup et murmura à voix basse :

— C’est elle ! 


— La femme criait et appelait au secours. Mais bientôt ses cris furent étouffés ; les trois hommes se rapprochèrent de la fenêtre, emportant la femme dans leurs bras ; deux descendirent par l’échelle et la transportèrent dans la voiture, où le petit vieux entra après elle. Celui qui était resté dans le pavillon referma la croisée, sortit un instant après par la porte et s’assura que la femme était bien dans la voiture ; ses deux compagnons l’attendaient déjà à cheval, il sauta à son tour en selle ; le laquais reprit sa place près du cocher ; le carosse s’éloigna au galop escorté par les trois cavaliers, et tout fut fini. 

 

CHAPITRE XXV.

LA MAÎTRESSE DE PORTHOS.

 


Bonacieux devint pâle comme la mort et grimaça un sourire.

— Ah ! ah ! dit Bonacieux, vous êtes un plaisant compagnon. Mais où diable avez-vous été courir cette nuit, mon jeune maître ? il paraît qu’il ne faisait pas bon dans les chemins de traverse.

D’Artagnan baissa les yeux vers ses bottes toutes couvertes de boue ; mais dans ce mouvement ses regards se portèrent en même temps sur les souliers et les bas du mercier ; on eût dit qu’on les avait trempés dans le même bourbier ; les uns et les autres étaient maculés de taches absolument pareilles. Alors une idée subite traversa l’esprit de d’Artagnan. Ce petit homme gros, court, grisonnant, cette espèce de laquais, vêtu d’un habit sombre, traité sans considération par les gens d’épée qui composaient l’escorte, c’était Bonacieux lui-même. Le mari avait présidé à l’enlèvement de sa femme. 

 


 — Oh ! la chose n’a pas été longue, je vous en réponds. Ils se sont mis en garde ; l’étranger a fait une feinte et s’est fendu, tout cela si rapidement, que lorsque M. Porthos est arrivé à la parade, il avait déjà trois pouces de fer dans la poitrine. Il est tombé en arrière. L’étranger lui a mis aussitôt la pointe de son épée à la gorge, et M. Porthos, se voyant à la merci de son adversaire, s’est avoué vaincu. Sur quoi, l’étranger lui a demandé son nom, et apprenant qu’il s’appelait M. Porthos, et non M. d’Artagnan, lui a offert son bras, l’a ramené à l’hôtel, est monté à cheval et a disparu. 

 


À la vue de son ami, Porthos jeta un grand cri de joie, et Mousqueton, se levant respectueusement, lui céda la place et s’en alla donner un coup d’œil aux deux casseroles, dont il paraissait avoir l’inspection particulière.

— Ah ! pardieu ! c’est vous, dit Porthos à d’Artagnan, soyez le bien-venu, et excusez-moi si je ne vais pas au-devant de vous. Mais, ajouta-t-il en regardant d’Artagnan avec une certaine inquiétude, vous savez ce qui m’est arrivé ? 

 


  Mon ami plaçait une bouteille à trente pas, et à chaque coup il lui prenait le goulot dans un nœud coulant. Je me livrai à cet exercice, et comme la nature m’a doué de quelques facultés, aujourd’hui je jette le lasso aussi bien qu’homme du monde. Eh bien ! comprenez-vous ? notre hôte a une cave très bien garnie, mais dont la clef ne le quitte pas ; seulement cette cave a un soupirail. Or, par ce soupirail, je jette le lasso ; et comme je sais maintenant où est le bon coin, j’y puise. Voici, monsieur, comment le nouveau monde se trouve être en rapport avec les bouteilles qui sont sur cette commode et sur ce secrétaire. Maintenant, goûtez de notre vin, et, sans prévention, vous nous direz ce que vous en pensez. 

 

CHAPITRE XXVI.

LA THÈSE D’ARAMIS.

 


— Admirable sujet ! s’écria le jésuite.

— Admirable et dogmatique ! répéta le curé qui, de la force de d’Artagnan à peu près sur le latin, surveillait soigneusement le jésuite pour emboîter le pas avec lui et répéter ses paroles comme un écho.

Quant à d’Artagnan, il demeura parfaitement indifférent à l’enthousiasme des deux hommes noirs.

 


Un soir que je me rendais, selon mon habitude, dans une maison que je fréquentais avec plaisir – on est jeune que voulez-vous, on est faible, – un officier qui me voyait d’un œil jaloux lire les vies des saints à la maîtresse de la maison, entra tout à coup et sans être annoncé. Justement, ce soir-là, j’avais traduit un épisode de Judith, et je venais de communiquer mes vers à la dame, qui me faisait toutes sortes de compliments, et, penchée sur mon épaule, les relisait avec moi. La pose, qui était quelque peu abandonnée, je l’avoue, blessa cet officier ; il ne dit rien, mais lorsque je sortis, il sortit derrière moi, et me rejoignant :

— Monsieur l’abbé, dit-il, aimez-vous les coups de canne ? 

 


Bazin, qui regardait son maître et qui ne comprenait rien à ce changement, laissa mélancoliquement glisser l’omelette dans les épinards, et les épinards sur le parquet.

— Voilà le moment de consacrer votre existence au Roi des rois, dit d’Artagnan, si vous tenez à lui faire une politesse, Non inutile desiderium in oblatione.

— Allez-vous-en au diable avec votre latin ! Mon cher d’Artagnan, buvons, morbleu, buvons, et racontez-moi un peu ce qu’on fait là-bas ? 

 

CHAPITRE XXVII.

LA FEMME D’ATHOS.

 


D’Artagnan, muet de colère et d’inquiétude, s’assit, menaçant comme un juge. Planchet s’adossa fièrement à son fauteuil.

— Voici l’histoire, monseigneur, reprit l’hôte tout tremblant, car je vous reconnais à cette heure ; c’est vous qui êtes parti quand j’eus ce malheureux démêlé avec ce gentilhomme dont vous parlez. 

 


 

Les gentilshommes avaient mis l’épée à la main ; mais ils se trouvaient pris entre deux feux ; ils hésitèrent un instant encore ; cependant comme la première fois l’orgueil l’emporta, et un second coup de pied fit craquer la porte dans toute sa hauteur.

— Range-toi, d’Artagnan, range-toi, cria Athos, range-toi, je vais tirer. 

 


 Au-delà des fortifications auxquelles Athos avait fait brèche pour sortir et qui se composaient de fagots, de planches et de futailles vides, entassés selon toutes les règles de l’art stratégique, on voyait çà et là, nageant dans les mares d’huile et de vin, les ossements de tous les jambons mangés, tandis qu’un amas de bouteilles cassées jonchait tout l’angle gauche de la cave et qu’un tonneau, dont le robinet était resté ouvert, perdait par cette ouverture les dernières gouttes de son sang. L’image de la dévastation et de la mort, comme dit le poète de l’Antiquité, régnait là comme sur un champ de bataille. 

 


 Alors les hurlements de l’hôte et de l’hôtesse percèrent la voûte de la cave ; d’Artagnan lui-même en fut ému, Athos ne tourna pas même la tête. 

 


D’Artagnan lui raconta comment il avait trouvé Porthos dans son lit avec une foulure et Aramis à une table entre les deux théologiens. Comme il achevait, l’hôte rentra avec les bouteilles demandées et un jambon, qui, heureusement pour lui, était resté hors de la cave. 

 

— Le comte était un grand seigneur, il avait sur ses terres droit de justice basse et haute, il acheva de déchirer les habits de la comtesse, il lui lia les mains derrière le dos et la pendit à un arbre. 

 

CHAPITRE XXVIII.

RETOUR.

L’Anglais, triomphant, ne se donna même la peine de rouler les dés, il les jeta sur la table sans regarder, tant il était sûr de la victoire. D’Artagnan s’était détourné pour cacher sa mauvaise humeur. 

 


 Au même instant, un fourgon, qui depuis quelques instants pointait sur la route d’Amiens, s’arrêta, et l’on vit sortir Grimaud et Planchet leurs selles sur la tête. Le fourgon retournait à vide vers Paris, et les deux laquais s’étaient engagés, moyennant leur transport, à désaltérer le voiturier tout le long de la route. 


— Savez-vous ce que nous mangeons ici ? dit Athos, au bout de dix minutes.

— Pardieu ! répondit d’Artagnan, moi je mange du veau piqué aux cardons et à la moelle.

— Et moi des filets d’agneau, dit Porthos.

— Et moi un blanc de volaille, dit Aramis.

— Vous vous trompez tous, messieurs, répondit Athos ; vous mangez du cheval.

 

CHAPITRE XXIX.

LA CHASSE À L’ÉQUIPEMENT.

 

Ce que voyant Porthos, il retroussa de nouveau sa moustache, allongea une seconde fois sa royale, et se mit à faire des signaux à une belle dame qui était près du chœur, et qui non seulement était une belle dame, mais encore une grande dame sans doute, car elle avait derrière elle un négrillon qui avait apporté le coussin sur lequel elle était agenouillée, et une suivante qui tenait le sac armorié dans lequel on renfermait le livre où elle disait sa messe.
 

 

Lorsque la dame au coussin rouge fut près de Porthos, Porthos tira sa main toute ruisselante du bénitier ; la belle dévote toucha de sa main effilée la grosse main de Porthos, fit en souriant le signe de la croix et sortit de l’église. 

 


— Tenez, madame, dit Porthos, ne parlons plus de tout cela, je vous en prie. Vous m’avez méconnu ; toute sympathie est éteinte entre nous.

— Ingrat que vous êtes !

 

CHAPITRE XXX.

MILADY.


 


La femme de chambre s’approcha de Planchet, qu’elle prit pour Lubin, et lui tendant un petit billet :

— Pour votre maître, dit-elle.

— Pour mon maître ? reprit Planchet étonné.

— Oui, et très pressé. Prenez donc vite.

Là-dessus elle s’enfuit vers le carrosse, retourné à l’avance du côté par lequel il était venu ; elle s’élança sur le marchepied, et le carrosse repartit.

 


D’Artagnan pensa que c’était le moment d’intervenir ; il s’approcha de l’autre portière, et se découvrant respectueusement :

— Madame, dit-il, me permettez-vous de vous offrir mes services ? Il me semble que ce cavalier vous a mise en colère. Dites un mot, madame, et je me charge de le punir de son manque de courtoisie. 

 


— Eh bien ! mon digne gentilhomme, reprit d’Artagnan choisissez la plus longue et venez me la montrer ce soir.

— Où cela, s’il vous plaît ?

— Derrière le Luxembourg, c’est un charmant quartier pour les promenades dans le genre de celle que je vous propose.

 

Porthos tira son épée hors du fourreau et se mit à espadonner contre le mur en se reculant de temps en temps et en faisant des pliés comme un danseur. Aramis, qui travaillait toujours à son poème, s’enferma dans le cabinet d’Athos et pria qu’on ne le dérangeât plus qu’au moment de dégaîner. 

 

 

 

 



 


FIN DU PREMIER TOME

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