Dienstag, 17. Januar 2023

Alexandre Dumas: Les Trois Mousquetaires, Illustrations de Maurice Leloir, II

 

Quelquefois Grimaud, qui craignait son maître comme le feu, tout en ayant pour sa personne un grand attachement et pour son génie une grande vénération, croyait avoir parfaitement compris ce qu’il désirait, s’élançait pour exécuter l’ordre reçu, et faisait précisément le contraire. Alors Athos haussait les épaules, et, sans se mettre en colère, rossait Grimaud. Ces jours-là, il parlait un peu. 

 

Quant à Aramis, dont nous croyons avoir suffisamment exposé le caractère, caractère du reste que, comme celui de ses compagnons, nous pourrons suivre dans son développement, son laquais s’appelait Bazin. Grâce à l’espérance qu’avait son maître d’entrer un jour dans les ordres, il était toujours vêtu de noir, comme doit l’être le serviteur d’un homme d’Église. C’était un Berrichon de trente-cinq à quarante ans, doux, paisible, grassouillet, occupant à lire de pieux ouvrages les loisirs que lui laissait son maître, faisant, à la rigueur pour deux un dîner de peu de plats, mais excellent. Au reste, muet, aveugle, sourd et d’une fidélité à toute épreuve.


De leur côté les trois mousquetaires aimaient fort leur jeune camarade. L’amitié qui unissait ces quatre hommes, et le besoin de se voir trois ou quatre fois par jour, soit pour duel, soit pour affaires, soit pour plaisir, les faisaient sans cesse courir l’un après l’autre comme des ombres ; et l’on rencontrait toujours les inséparables se cherchant du Luxembourg à la place Saint-Sulpice ou de la rue du Vieux-Colombier au Luxembourg. 

D’Artagnan se trouva donc assez humilié de n’avoir eu qu’un repas et demi, — car le déjeuner chez le prêtre ne pouvait compter que pour un demi-repas, — à offrir à ses compagnons, en échange des festins que s’étaient procurés Athos, Porthos et Aramis. Il se croyait à charge à la société, oubliant, dans sa bonne-foi toute juvénile qu’il avait nourri cette société pendant un mois, et son esprit préoccupé se mit à travailler activement. Il réfléchit alors, et comprit pour la première fois que cette coalition de quatre hommes, jeunes, braves, entreprenants et actifs, devait avoir un autre but que des promenades déhanchées, des leçons d’escrime et des lazzis plus ou moins spirituels. 



— Oui, comment le savez-vous ? Pas de demi-confidence, ou… vous comprenez.

— Je le sais par ma femme, monsieur, par ma femme elle-même.

— Qui le sait, elle ?… Par qui ?

— Par M. de Laporte. Ne vous ai-je pas dit qu’elle était la filleule de M. de Laporte, l’homme de confiance de la reine ? Eh bien, M. de Laporte l’avait mise près de Sa Majesté pour que notre pauvre reine au moins eût quelqu’un à qui se fier, abandonnée comme elle l’est par le roi, espionnée comme elle l’est par le cardinal, trahie comme elle l’est par tous. 

 

Et tirant son épée du fourreau, il se précipita hors de l’appartement.

Sur l’escalier il rencontra Athos et Porthos qui le venaient voir. Ils s’écartèrent ; d’Artagnan passa entre eux comme un trait.

— Ah çà ! où courez-vous ainsi ? lui crièrent à la fois les deux mousquetaires.

— L’homme de Meung ! répondit d’Artagnan. Et il disparut.

 

Et alors il raconta mot à mot à ses amis ce qui venait de se passer entre lui et son hôte, et comment l’homme qui avait enlevé la femme du digne propriétaire était le même avec lequel il avait eu maille à partir à l’hôtellerie du Franc-Meunier. 

 


Au moment où ils descendaient, d’Artagnan frappa sur l’épaule du chef :

— Ne boirai-je pas à votre santé et vous à la mienne ? dit-il en remplissant deux verres du vin de Beaugency qu’il tenait de la libéralité de M. Bonacieux.

— Ce sera bien de l’honneur pour moi, dit le chef des sbires, et j’accepte avec reconnaissance.

— Donc, à la vôtre, monsieur… comment vous nommez-vous ?

— Boisrenard.

— Monsieur Boisrenard !

— À la vôtre, mon gentilhomme ; comment vous nommez-vous, à votre tour, s’il vous plaît ?

— D’Artagnan.

— À la vôtre, monsieur d’Artagnan !

 

— Et maintenant, messieurs, dit d’Artagnan sans se donner la peine d’expliquer sa conduite à Porthos, tous pour un, un pour tous ; c’est notre devise, n’est-ce pas ? 

 

 — Mais où allez-vous, monsieur, où allez-vous ?

— Je descends par la fenêtre, s’écria d’Artagnan, afin d’être plus tôt arrivé ; toi, remets les carreaux, balaie le plancher, sors par la porte et cours où je te dis. 

 

...et que d’Artagnan, l’épée nue, s’élança dans l’appartement de maître Bonacieux, dont la porte, sans doute mue par un ressort, se referma d’elle-même après lui avoir donné passage. Alors ceux qui habitaient encore la malheureuse maison de Bonacieux et les voisins les plus proches entendirent de grands cris, des trépignements, un cliquetis d’épées, et un bris prolongé de meubles. Puis, un moment après, ceux qui, surpris par ce bruit, s’étaient mis aux fenêtres pour en connaître la cause, purent voir la porte se rouvrir et quatre hommes vêtus de noir non pas en sortir,...

 


 Et la jeune femme et le jeune homme, sans se donner la peine de refermer les portes, descendirent rapidement la rue des Fossoyeurs, s’engagèrent dans la rue des Fossés-Monsieur-le-Prince et ne s’arrêtèrent qu’à la place Saint-Sulpice. 

 

...il remonta précipitamment, rentra dans le cabinet, d’un tour de doigt remit la pendule à son heure, pour qu’on ne pût pas s’apercevoir, le lendemain, qu’elle avait été dérangée, et sûr, désormais, qu’il y avait un témoin pour prouver son alibi, il redescendit l’escalier et se retrouva bientôt dans la rue. 

 

Arrivé là, d’Artagnan pensa jeter un cri de surprise : ce n’était pas Aramis qui causait avec la nocturne visiteuse, c’était une femme. Seulement, d’Artagnan y voyait assez pour reconnaître la forme de ses vêtements, mais pas assez pour distinguer ses traits. 

 

— Ah ! je le savais bien, que vous étiez un brave jeune homme ! s’écria Mme Bonacieux en lui tendant une main et en posant l’autre sur le marteau d’une petite porte presque perdue dans la muraille. 




D’Artagnan fit un bond en arrière et tira son épée. En même temps, et avec la rapidité de l’éclair, l’inconnu tira la sienne. — Au nom du ciel, milord ! s’écria Mme Bonacieux en se jetant entre les combattants et en prenant les épées à pleines mains.


George Villiers se plaça donc devant une glace, comme nous l’avons dit, rendit à sa belle chevelure blonde les ondulations que le poids de son chapeau lui avait fait perdre, retroussa sa moustache, et le cœur tout gonflé de joie, heureux et fier de toucher au moment qu’il avait si longtemps désiré, se sourit à lui-même d’orgueil et d’espoir. 

Anne d’Autriche fit deux pas en avant ; Buckingham se précipita à ses genoux et avant que la reine eût pu l’en empêcher, il baisa le bas de sa robe. 



— Et je tiens ma parole. Votre main, votre main, madame, et je pars.

Anne d’Autriche tendit sa main en fermant les yeux et en s’appuyant de l’autre sur Estefania, car elle sentait que les forces allaient lui manquer. 

 


 — Mais je ne vous ai pas dit que je le connaissais, s’écria Bonacieux au désespoir. Je vous ai dit au contraire… 

 


— Mais ! s’écria Bonacieux, ce n’est pas monsieur d’Artagnan que vous me montrez là !

— Comment ! ce n’est pas M. d’Artagnan ! s’écria le commissaire.

— Pas le moins du monde, répondit Bonacieux. 

 


 Cette fois il n’y avait plus de doute, c’était à la Croix-du-Trahoir qu’on exécutait les criminels subalternes ; Bonacieux s’était flatté en se croyant digne de Saint-Paul ou de la place de Grève. C’était à la Croix-du-Trahoir qu’allait finir son voyage et sa destinée ! Il ne pouvait voir encore cette malheureuse croix, mais il la sentait en quelque sorte venir au-devant de lui. Lorsqu’il n’en fut plus qu’à une vingtaine de pas, il entendit une rumeur et la voiture s’arrêta. C’était plus que n’en pouvait supporter le pauvre Bonacieux, déjà écrasé par les émotions successives qu’il avait éprouvées ; il poussa un faible gémissement qu’on eût pu prendre pour le dernier soupir d’un moribond, et il s’évanouit.

 

La porte s’ouvrit, deux gardes reçurent dans leurs bras Bonacieux soutenu par l’exempt, et on le poussa dans une allée, on lui fit monter un escalier et on le déposa dans une antichambre.

 — Taisez-vous ! vous êtes un imbécile ! reprit le cardinal.

— C’est justement ce que ma femme m’a répondu, monseigneur. 

 


— C’est lui ! s’écria Bonacieux.

— Qui, lui ? demanda le cardinal.

— Celui qui m’a enlevé ma femme.

 

Et le cardinal lui fit un signe de la main, auquel Bonacieux répondit en s’inclinant jusqu’à terre ; puis il sortit à reculons, et quand il fut dans l’antichambre le cardinal l’entendit qui, dans son enthousiasme, criait à tue-tête : Vive monseigneur ! vive Son Éminence ! vive le grand cardinal ! 

 


Louis XIII mettait déjà la main sur le bouton de la porte ; au bruit que fit M. de Tréville en entrant, il se retourna.

— Vous arrivez bien, monsieur, dit le roi, qui, lorsque ses passions étaient montées à un certain point, ne savait pas dissimuler, et j’en apprends de belles sur le compte de vos mousquetaires. 

 

— Voyons, dit le roi, me jurez-vous par mon père que M. Athos était chez vous pendant l’événement et qu’il n’y a point pris part ? 

 


 M. de Tréville fit triomphalement son entrée au Fort-l’Évêque, où il délivra le mousquetaire, que sa paisible indifférence n’avait pas abandonné. 

 


 

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